Il y avait alors en Bretagne, un roi qui se nommait Constant. Il mourut bientôt en laissant deux enfants en bas âge : Moine et Uter Pendragon.
Or, le sénéchal du royaume, un certain Voltiger, homme féroce, plein d'ambition, et qui briguait le trône, donna l'ordre de tuer les enfants.
Uter Pendargon eut la chance d'échapper à cet ordre en partant clandestinement, avec de fidèles amis, pour une ville étrangère. Et Voltiger, se croyant sûr de pouvoir agir à sa guise, ne tarda
guère à se faire couronner roi de Bretagne.
Mais il n'était pas digne d'une aussi haute charge. Il n'aimait que les honneurs et point du tout ses sujets. Et ses sujets le savaient bien, qui haïssaient ses petits yeux au regard méchant, et
sa bouche large et mince qui ne s'ouvrait que pour blâmer et punir.
Voltiger, en dépit de cette impopularité qu'il sentait grandir autour de lui, était décidé à demeurer roi coûte que coûte. Aussi voulut-il, pour se protéger, faire bâtir aux portes de la ville
une tour si haute et si forte qu’elle ne pût jamais être prise. Les maçons se mirent donc à l’œuvre, mais à peine la tour commençait-elle de s'élever de trois ou quatre toises au-dessus du sol,
qu’elle s'écroula. Voltiger convoqua ses maîtres maçons et contenant à peine son mécontentement, il leur commanda d'employer la meilleure chaux et le meilleur ciment qu'ils pourraient trouver. Et
gare à eux si le travail ne s'accomplissait pas correctement ! Ainsi firent-ils, vous le pensez bien !
Hélas ! quand elle fut presque achevée, une seconde fois, la tour s'écroula. Puis une troisième, et une quatrième. Si bien que les châtiments tombaient drus sur les maçons et que le roi enrageait
de plus en plus. Finalement, dans la crainte de ne jamais voir sa tour édifiée, Voltiger s'avisa qu'il valait mieux s'adresser aux mages et aux astronomes qu'aux maçons. Après onze jours de
graves discussions, ceux-ci persuadèrent le roi que la tour ne tiendrait jamais si l'on ne mélangeait au mortier le sang d'un enfant de sept ans, né sans père.
- Que douze messagers partent immédiatement à travers la Bretagne et ramènent un enfant qui réponde à ces conditions, ordonna Voltiger.
Un beau matin, l'un de ces messagers rencontra sur sa route des jeunes garçons en train de s'amuser. Parmi eux se trouvait Merlin. Et Merlin, qui connaissait toutes choses, s'avança vers lui et
dit :
- Je suis celui que tu cherches, Messager. Enfant sans père dont tu dois rapporter le sang à ton roi.
- Qui t'a dit cela ? demanda le messager interloqué.
Ce garçon ne ressemblait pas tout à fait aux autres garçons. Il n'avait pas le regard rieur et naïf des jeunes enfants.
- Si tu me certifies que tu ne me feras aucun mal, j'irai avec toi et je t'expliquerai pourquoi la tour ne tient pas, poursuivait Merlin. Mais je pourrais d'abord te montrer que je sais bien d
'autres choses, ajouta-t-il négligemment.
- Vraiment ? dit le messager. Allons ! Parle...
Et il regardait Merlin avec une méfiance non déguisée.
- Eh bien, il s'agit d'une tour que le roi Voltiger voudrait bâtir, mais la tour s'écroule toujours. Alors il a réuni des mages...
Du geste, le messager l'interrompit. Il se disait : "ce garçon est extraordinaire. Non, je ne puis le tuer."
- Viens avec moi, ordonna-t-il à Merlin. Et, saisissant le bras de l'enfant, il ajouta plus doucement : n'aie pas peur.
Merlin, lisant dans sa pensée, accepta volontiers de le suivre. Auparavant, il alla embrasser sa mère qu'il rassura pleinement.
Tout au long du chemin,, le messager acquit la conviction que Merlin était l'être le plus prodigieux qui eût jamais foulé le sol breton et qu'il se devait, en conséquence, de le maintenir en vie.
Seulement, quand il arriva à quelques kilomètres du palais, il se demanda comment il s'y prendrait avec Voltiger. Merlin aurait-il une idée ?
- Dis au roi al vérité, répondit Merlin. Donne-lui l'assurance que je lui expliquerai pourquoi il ne parvient pas à bâtir sa tour.
Ainsi fit le messager, si bien que le roi, intrigué au plus haut point, manda Merlin, lequel prononça alors ces mots :
- Sous les fondations de la tour, habitent deux dragons. L'un est rouge et l'autre est blanc. Quand le poids de la tour devient trop pesant pour eux, ils éprouvent le besoin de se retourner.
C'est à ce moment que les murs s’écroulent.
- Dans ce cas, il ne reste qu'une chose à faire, dit le roi, creuser le sol.
Et aussitôt les ouvriers se mirent au travail. Dès qu'ils atteignirent la base des fondations, ils trouvèrent deux énormes dalles qu'ils soulevèrent. Merlin avait raison : deux dragons en
sortirent qui se jetèrent sauvagement l'un contre l'autre.
Stupéfaits, intrigués, Voltiger, sa cour et tous les ouvriers suivirent la bataille, qui dura deux jours. Le dragon rouge parut d'abord avoir le dessus, mais le blanc, plus agile parce que plus
jeune, finit par le tuer. Cependant, son triomphe fut bref, car il se coucha et mourut à son tour.
S'adressant à Voltiger, Merlin lui dit :
- Maintenant, tu peux faire édifier une tour.
Voltiger hocha la tête. Après un temps de réflexion, il demanda :
- Saurais-tu me dire ce que signifie la bataille des deux dragons ?
Merlin sourit :
- Promets-moi d'abord de ne point me malmener pour t'avoir dit la vérité.
- Je te le promets.
- Alors écoute bien : le dragon rouge, c'est toi, Voltiger, le dragon blanc, c'est Ute Pendagon. Dans quelques jours, vous entrerez en lutte : toi pour garder, lui pour reconquérir son royaume
usurpé. Et le dragon blanc sera vainqueur du dragon rouge.
A ces mots, le roi pâlit. Uter Pendragon était-il donc encore un vivant avec lequel il fallait compter ? Le cœur lourd d'angoisse, il décida par prudence d'envoyer une armée à Wenchester.
Pouvait-il se douter que lorsque ses gens verraient luire au soleil les bannières d'Uter Pendragon sur le bateau qui l'amenait de Petite-Bretagne au-devant de cette armée menaçante, ils le
reconnaîtraient aussitôt pour leur roi légitime ? C'est ce qui arriva pourtant et Voltiger, abandonné de ses soldats et de ses amis, n'eut que le temps de s'enfuir dans un de ses châteaux
forts.
Il y demeura quelques jours en proie à la peur, ainsi que l’avait prédit merlin, il mourut pendant l'assaut qu'Uter Pendragon donna à la forteresse.
Il advint qu'Uter Pendragon, devenu roi de Grande-Bretagne entendit parler de l'extraordinaire Merlin, qui non seulement connaissait toutes choses, mais possédait encore de singuliers
pouvoirs.
Le roi décida donc de le faire vivre à sa cour, et envoya des messagers à sa recherche, sachant qu'il se cachait dans la forêt de Northumberland.
Un jour que l'un de ces messagers parcourait cette forêt épaisse et toute bruissante du murmure des feuilles, il aperçut, vêtu d'un bliaut élimé, les cheveux hirsutes, la barbe longue, et portant
sur l'épaule la cognée des bûcherons, un homme très maigre qui l'aborda en ces termes :
- Beau Sire, vous ne faites guère, me semble-t-il, la besogne dont vous a chargé votre seigneur...
Amusé, autant que déconcerté par cette remarque, l'enquêteur s'arrêta et, d'un ton de plaisanterie, demanda au bûcheron de quoi il se mêlait.
Sans répondre directement à la question, celui-ci déclara :
- Si je cherchais merlin, il y a belle lurette que je l'aurai trouvé ! Cependant, il m'a recommandé de vous dire qu'il se rendra au palais si le roi en personne vient le quérir en cette
forêt.
Ce qui eut pour résultat de faire ouvrir des yeux tout ronds de stupéfaction à l'enquêteur.
- Merlin ! répétait-il. Tu connais donc Merlin... ?
Le bûcheron hocha la tête, puis il disparut dans un fourré après une pantomime compliquée autant qu'intraduisible.
Quand le roi Uter Pendragon apprit la chose, il n'hésita pas une seconde :
- Je pars au-devant de Merlin, dit-il.
Et c'est ainsi que le roi et ses gens chevauchaient, un beau matin d'automne, à travers feuilles et buissons odorants et jaunis. Parvenus à une clairière, ils virent un troupeau de moutons, puis
le jeune berger qui les gardait. Ils l'interrogèrent.
- Connaitrais-tu Merlin, par hasard ?
- Certes, répondit le berger.
- Tu es son ami ?
- J'attends un roi et si ce roi venait, je saurais bien le mener à Merlin.
- Eh bien, conduis-nous à lui....
Comme le berger se grattait la tête et paraissait hésiter, Uter Pendragon s'avança et se nomma.
- Je suis le roi lui-même, dit-il.
- Et moi, je suis Merlin dit le berger.
Les compagnons du roi poussèrent des cris d'indignation. Quoi ! Ce berger presque contrefait se prendre pour... mais ils n'eurent pas le temps de terminer leur phrase : à la place du berger
apparut le jeune enfant qui avait expliqué à Voltiger devant tous ses courtisans ce que signifiait la bataille des deux dragons. Alors, le roi et ses compagnons, fort impressionnés, la saluèrent
et l'entourèrent.
C'est ainsi qu'on apprit, pour la première fois, en Grande-Bretagne, que Merlin possédait le pouvoir de se transformer à sa guise et de prendre l’apparence d'un autre.
Cependant, Uter Pendragon eut beau lui promettre monts et merveilles, Merlin refusa de vivre à sa cour. Comme c'était un sage, il se contenta de remercier le roi et de l'assurer de son aide,
préférant laisser aller les choses et ne point donner aux courtisans des sujets de jalousie, ce dont il eût été le premier à pâtir.
Le roi s'inclina, mais dès qu'un problème se posait, qu'une question restait sans réponse, il appelait Merlin qui accourait. Ce fut ainsi que grâce à lui, Uter Pendragon put vaincre des ennemis
redoutables, les Saines, et grâce à son pouvoir d'enchanteur, donner aux soldats morts, près de Salisbury, un cimetière aux pierres tombales venues d’Islande, si longues et si lourdes que nul
homme n'aurait pu les soulever, même avec un engin.
Et tant que le monde durera, ces pierres seront là.....
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